Politique du virus : le curieux visage d’une pandémie

Un événement singulier se déroule présentement au niveau mondial. Un consensus étonnant plane pratiquement partout. Il peut se résumer en ces quelques mots: la mort et l’inconnu rôdent et nous ne pouvons que nous en remettre à nos gouvernants pour nous protéger. Dès lors, à peu près tout le monde se soumet aux consignes qui émanent des autorités étatiques. Le confinement est la règle dans plusieurs endroits et au moment d’écrire ces mots (25 mars 2020), près de la moitié de la population sur terre est à l’arrêt ou en grand ralentissement.

Au Québec, selon les derniers sondages,
l’approbation envers le gouvernement de François Legault dans la gestion de la
crise est de 94%. Dans la France turbulente, même Macron grimpe dans les
sondages. Dans ce contexte, le moindre adolescent qui ose un «même pas
peur» se voit soudainement remis à sa place par le regard sévère de 3 milliards
de terriens.

Seuls l’Afrique et plusieurs pays d’Amérique
du sud vivent à peu près comme avant, ne pouvant se permettre un confinement.
Dans plusieurs pays africains par exemple, on ne retrouve qu’un ou deux de ces respirateurs
artificiels médicaux pour l’ensemble de la population et ils sont bien sûr
réservés à une infime minorité de favorisés. En Afrique sub-saharienne, un
enfant sur deux meurt avant l’âge de 5 ans. Alors à quoi bon s’en faire avec ce
virus? Les aéroports sont quand même à l’arrêt à Kinshasa et le gouvernement
kinois conseille à sa population d’éviter les rassemblements. Mais ces conseils
impossibles à appliquer rappellent surtout aux dominés de la mondialisation
leur place humiliante de subalterne dans la division internationale du travail.
Du reste, un confinement dans la plupart des pays pauvres où on peine à se
nourrir quotidiennement accoucherait d’une violence et d’une crise économique aggravées
pour ces régions du globe.

LA QUESTION POLITIQUE

Pour les intellectuels occidentaux, la
situation n’en demeure pas moins propice à de nombreuses analyses pertinentes.
Nous assistons au retour de la lutte des classes,disent certains : seuls
les bourgeois, les universitaires, les cadres, les patrons et les rentiers sont
confinés avec un certain sentiment de sécurité. Les exploités de la
mondialisation et les petits travailleurs précaires qui font tourner notre
quotidien doivent travailler au péril de leur vie ou se retrouvent soudainement
sans emploi, avec tout ce que ça implique comme conséquence immédiate en termes
de survie.

Plusieurs rappellent aussi que la situation
est très pénible pour une frange importante des confinés. Dès les premiers
jours du confinement au Québec, on notait une recrudescence des appels de
détresse pour violence conjugale dans les centres et les maisons d’hébergement
pour femmes. Et on ne compte plus les analyses qui nous rappellent que le
confinement est vécu différemment pour le riche qui possède une maison de
campagne ou un vaste appartement, que pour une famille pauvre de 10 personnes
vivant dans un espace contigu. L’inégalité du confinement se transforme en
indicateur de l’inégalité des vies.

N’empêche, les mots «État providence» et «nationalisation» sont de retour dans la bouche des gouvernants. Et fait notable, malgré ce retour (temporaire ?) de la Nation et de l’État, l’extrême droite peine à convaincre, car immigrés et populations enracinées se tiennent ensemble face à ce virus (au Québec du moins). Résultat: la situation politique nous apparait sous un angle complètement nouveau et avec des possibles qui auraient été impensables il y a deux semaines à peine.

Les plus lucides, à l’image de Naomi Klein[1], nous rappellent quand même que les désastres sont toujours instrumentalisés politiquement. Les crises sont toujours un moment de refondation du pouvoir. Les avides, les amoraux, les comploteurs, les mafias et les puissants en général peuvent profiter présentement de plusieurs occasions d’affaire et surtout de l’incroyable possibilité de contrôle des populations qui leur sont offertes sur un plateau d’argent. Ils nous préparent sans doute un monde que l’on peine à imaginer. Nous pouvons bien sûr en deviner certains contours: pendant que plusieurs pays raffinent leurs dispositifs de contrôle électronique, on apprend qu’Amazon et autres géants américains s’apprêtent à acheter de grosses entreprises en faillites. Le risque d’une concentration du pouvoir entre quelques mains, encore plus accentué qu’avant la crise, est réel et préoccupant.

Pendant ce temps, le capitalisme de surveillance[2] qui en est à ses balbutiements semble entrer dans une phase plus affirmative. Au Canada par exemple, on s’apprête officiellement à utiliser les données de cellulaires pour cibler les rassemblements[3]. Pensons-nous sérieusement que tout ce dispositif de contrôle mis en place pendant le confinement sera complètement abandonné une fois le retour à la normale ?

MÉDITER PENDANT LA PANDÉMIE

En ce sens, ce n’est pas le temps de dormir,
ni de s’apitoyer sur son sort. Pour ceux qui en ont la possibilité, c’est le
temps d’oser voir l’évènement. On dit d’ailleurs que méditer, c’est Voir. Voir
avec un «V» majuscule. Or, qu’est-ce qui se passe lorsque l’on
s’assoit par terre à ne rien faire?Voit-on réellement quelque chose
hormis l’incroyable confusion de l’esprit humain?

La plupart du temps, on ne voit pas grand-chose. Ce qui se passe réellement fait plutôt apparaitre un curieux mélange de confusion et de clarté, de présence et d’absence. Méditer nous plonge aussi d’une manière indicible au cœur de nos illusions. Rien de théorique ici, il faut l’éprouver et surtout constater au sortir d’une séance de méditation que la situation autour de soi apparait avec un peu plus de finesse, libérée du brouillard habituel que l’on prend pour la réalité. Soudainement et subtilement, on voit le monde à neuf. Avant bien sûr de rapidement replonger dans ses travers et ses habitudes.

Méditer est donc précieux en ce moment pour
voir un phénomène qui autrement nous est voilé, car ce que le virus attaque en
premier lieu, c’est le besoin de sécurité propre à l’humain. Et si ce besoin de
sécurité est bien sûr souvent légitime, la pratique d’une voie spirituelle nous
montre qu’il émane aussi très souvent de la part lâche, démissionnaire et basse
de l’âme humaine.

NOUS NE SERONS JAMAIS EN SÉCURITÉ

Car nous ne serons en effet jamais en sécurité. Être adulte, c’est en avoir pleinement conscience, sans le fuir et sans ressentiment. Il n’y a pas d’échappatoire. Nous avons à vivre avec cette béance inconfortable, qui en retour est le réceptacle de la grâce et de la véritable joie de vivre.

Il ne s’agit pas ici de critiquer l’État
dans sa gestion de la pandémie. L’État est bien l’unique structure nous
permettant de répondre actuellement à la situation. Mais l’histoire du 20e
siècle nous montre que le projet moderne porte en lui un effroyable pouvoir
totalitaire et ce que nous vivons tous présentement, bien que nécessaire, ne
doit pas nous le faire oublier.

Le seul souhait que je peux donc émettre en ce moment, la seule utopie à laquelle j’aspire, c’est que cette pandémie nous sorte de l’infantilisation abyssale dans laquelle le capitalisme mondialisé nous a tous plongés, avec ses divertissements et sa fausse sécurité. Car ce qui nous attend dans un futur proche, entre la crise économique et la crise climatique, les bouleversements migratoires qui n’en sont qu’à leurs débuts et la possibilité de nouvelles guerres cybernétiques, nécessitera des gens debout et courageux, bien en phase avec le tragique de l’existence humaine.

Et ceci ne peut être possible sans une
spiritualité bien ancrée dans le 21ième siècle, qui prend racine
dans les trésors du passé qui seront toujours de véritables appuis et de
précieux secours. Nous serons toujours seul face à l’essentiel et nous aurons
toujours besoin d’être ensemble debout face à l’adversité. Écoutons donc le
conseil des anciens. Comme le dit St-Paul dans 1 Corinthiens 16:13:
«Veillez,
demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, fortifiez-vous! Que tout ce que
vous faites se fasse avec amour!»

[1] KLEIN. Naomi. 2013. La Stratégie du choc: la montée d’un capitalisme du désastre. Paris: Acte Sud.

[2] ZUBOFF, Shoshana. 2020. L’âge du capitalisme de surveillance.

[3] PÉLOQUIN, Tristant. Les données cellulaires pour cibler les lieux de rassemblements? La Presse. 25 mars 2020.