Écologie et méditation : comment dire non radicalement et agir pour de bon

Qu’est-ce qui fait défaut aujourd’hui à l’écologie pour qu’elle soit prise
au sérieux, et que nous entreprenions un changement radical et immédiat, quand
bien même il ne suffirait pas à résoudre les problèmes climatiques et
environnementaux actuels?

Peut-être qu’il ne lui manque rien, et qu’il y a juste un manque de volonté des décideurs politiques et économiques. Ou bien est-ce que la critique écologique de notre système capitaliste et néolibéral, ou du moins ce qui en est relayé dans les médias, ne parvient pas à faire mouche avec suffisamment de force pour déstabiliser le statu quo?

Un enfermement idéologique

J’aimerais ici tenter de montrer que la pensée écologique dominante ne
parvient pas à s’extraire d’un mode de pensée et de rapport au monde
capitaliste, ce qui l’empêche de proposer une alternative radicale et plus que
nécessaire. Je voudrais ensuite partir d’une autre entente de la nature, en
m’appuyant sur l’antiquité grecque, afin de tenter de dégager un autre rapport
possible à l’urgence climatique.

Dans les semaines passées, en écoutant diverses personnalités et experts de
l’écologie s’exprimer dans les médias, j’ai été frappé par le fait que leur
critique du système se résume à un argument principal: la quantité de
ressources disponibles sur Terre est limitée, et donc un modèle économique de
croissance s’appuyant sur l’extraction de ces ressources ne peut être
soutenable dans le temps.

C’est un fait certes, mais ce qui est étonnant, c’est que la critique ne
porte pas vraiment sur le fait que nous vivons dans un monde où tout est
ressource et où tout doit être rentabilisé. Où chaque territoire, chaque arbre,
chaque animal, chaque personne doit contribuer à l’effort de production, et
être pressé pour qu’en soit extrait un jus financier.

Or c’est bien ce rapport au monde qui nous conduit à la situation dans
laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Et pourtant, ce n’est jamais lui qui
est critiqué, mais seulement ses effets. C’est ce qui conduit une partie
importante des solutions écologiques proposées pour lutter contre le
réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes à participer de ce même
système, et à le perpétuer! Les concepts de développement durable
et de croissance verte ont réussi le tour de force de transformer la
destruction de notre monde en une nouvelle opportunité commerciale…

Au lieu de nous arrêter, de remettre en question les fondements de notre
modèle actuel, et d’établir un nouveau rapport à la nature, nous ne faisons que
proposer des solutions techniques pour la rentabiliser encore plus. Non content
de puiser dans les sols, ce sont désormais les vagues, le vent et le soleil qui
doivent nous fournir de l’énergie.

L’homme est-il maître de la nature ?

Mis à part quelques courants comme la «Social ecology» de Murray Bookchin, ou la «Deep ecology» d’Arne Naess, l’écologie telle que nous la connaissons aujourd’hui part toujours du point de vue de l’homme comme maitre de la nature, devant agir sur elle pour la protéger (de lui).

Lisant Les dieux de la Grèce de Walter Otto, j’ai été profondément secoué par la figure d’Artémis, qui m’a soudain montré une autre voie. Cette divinité manifeste la nature en tant que ce qui échappe à l’homme. Vivant à distance, hors de son atteinte, dans les forêts et les montagnes, elle est la vierge sauvage, insaisissable et violente. C’est elle qui transforme Actéon, chasseur trop curieux l’ayant vue se baigner nue, en cerf, afin qu’il soit dévoré par ses propres chiens. Une métaphore cinglante qui s’adresse bien à nous aujourd’hui…

C’est elle aussi qui accompagne les femmes en couche, dans cette épreuve
qui est peut-être un des derniers espaces dans nos vies où cette nature sauvage
et étrangère survient.

Lisant cela, j’ai été saisi par l’intelligence du mythe, en me rappelant
l’expérience de la naissance de ma fille. Au fil des heures de travail, mon
épouse revenait en effet à une animalité originaire, secouée par la souffrance,
et animée d’une force très primaire, qui l’habitait sans lui appartenir
totalement. Elle ne tolérait plus aucune intervention de ma part, gestes comme
parole. J’étais impuissant, ne pouvant que lui apporter un verre d’eau de temps
en temps.

Ne rien faire, être présent

En repensant à cette expérience, je crois avoir compris quelque chose du
rapport que nous avons à retrouver vis-à-vis de la nature. Je n’ai pas eu le
choix: je n’ai rien pu faire. Juste respecter cette force à l’œuvre qui
n’avait pas besoin de mon action, ni au fond même de ma présence, pour être.
L’écouter. Abandonner toute volonté de réussite et de contrôle, et m’en
remettre à ce qui se déroulait devant moi.

Je ne me suis pas transformé en légume ou en mollusque pour autant. J’ai pu
répondre à la situation quand elle le demandait, accompagner mon épouse dans
les derniers moments décisifs, prendre soin du bébé ensuite. Mais il m’a fallu auparavant
attendre pendant de longues heures, et accepter de ne rien faire.

Témoigner. Non par nos mots ou nos actes, mais avant tout par notre
présence. Peut-être est-ce là le premier geste qu’il nous faut oser faire, face
à l’épreuve si profonde que notre monde connait.

Juste s’asseoir, et ne rien faire. Tout en étant entièrement là. Pendant
quelques minutes, quelques heures, quelques jours. C’est un acte de résistance
profond. Un moment où l’on ne consomme rien, y compris le réel, où l’on ne
participe plus de cette roue aveugle qui écrase tout sur son passage. Le
boycott ultime.

Et alors, après ce passage, une autre action se fait jour. Non plus dominer
le réel, contrôler ce qui nous entoure, harnacher la nature, se gérer soi-même…
mais se mettre au service. Au service du monde. De ce qui nous échappe, de ce
qui n’est pas nous, bien que nous ne puissions vivre sans. Les éléments. Les
lieux. Les êtres. Les communautés. La Terre.

Loin d’être un désengagement, c’est au contraire un acte de liberté très concret. On reconnait la souffrance liée à la dévastation à l’œuvre, celle qui détruit l’espace dans lequel nous vivons. Et on n’en rajoute pas. On voudrait tout de suite passer à l’action, tenter de trouver des solutions, de rejoindre un mouvement, une cause, et d’agir, bon sang! Il y a urgence!

Mais justement, on dit non à ce mouvement interne et immédiat de
préhension, cette soif de contrôle et d’activité qui ne laisse rien en pause,
rien en retrait, et somme tout de toujours apparaître, de se rendre utile et
rentable.

Assumer sa responsabilité

On reconnait en soi ce mouvement partout à l’œuvre, et on lui dit non. On ne rejette alors plus la faute sur les autres, qu’ils soient oligarchies bourgeoises, complots judéo-maçonniques, immigrés, dirigeants despotiques etc. Il ne s’agit pas de se culpabiliser, mais au contraire de se responsabiliser, en ne rejetant plus l’origine de la situation sur les autres, mais en voyant comment notre propre esprit participe aussi de ce rapport au monde capitaliste.

Notre position change, nous ne sommes plus au-dessus du réel. Une forme d’égalité nécessaire pour entrer en rapport au monde est retrouvée, et on peut alors commencer à travailler sur une autre voie, qui nous est propre, sans pour autant nous appartenir. Voilà ce que j’ai compris de ce que se mettre au service peut vouloir dire. C’est peut-être ainsi, en apprenant d’abord à radicalement ne rien faire, que nous pourrons regagner la dignité, l’assise et le regard clair qui ne saisit rien, sans lesquels aucun changement ne pourra être véritablement fécond.