Le goût de la neige

La pratique
de la méditation nous aide à voir plus clairement comment les sensations nous ouvrent à un champ d’expérience très vaste.

On a tendance à mettre le corps d’un côté et l’esprit de l’autre mais nos sens nous parlent de notre être : on dit bien avoir du tact, avoir du goût, avoir du nez ou du flair, avoir l’œil, avoir de l’oreille.

Une sensation est un moment de vie, une
ouverture sur le monde. Elle peut nous télescoper dans une épaisseur de temps
et de sens. Cela va très vite, dans un temps qui est plein et unifié, rassemblé.

Richesse des sensations

Prenons par exemple le goût de la neige.

Je suis née au Québec, l’hiver est une expérience enracinée dans mon enfance et je connais le goût de la neige. Je peux le sentir même sans neige. Que passe-t-il quand je goûte une poignée de flocons de neige fraichement tombés?

Je sens l’air entre ces petits flocons tout
fragiles, leur texture ô combien délicate. Ils fondent tout doucement et se
transforment en eau dans ma bouche. Je sens le poids de la neige, sa légèreté
sur ma main, malgré les moufles que je porte. J’entends à nouveau le bruit que
fait la neige lorsque mes pas s’y enfoncent.

Le goût de la neige c’est aussi le temps de
l’école primaire. La neige était déblayée et entassée pour former une petite
colline. Pendant la récréation, on allait jouer dehors et on glissait sur ces
collines avec des morceaux de carton. La récréation, c’était le temps mis pour
s’habiller avec des bottes en caoutchouc marron que l’on enfilait par-dessus
les chaussures. Je peux encore sentir le métal de la boucle qui fermait ces
bottes.

Le goût de la neige c’est aussi le souvenir
de l’écharpe de laine avec laquelle on recouvre le front et la bouche des
petits. On avait donc le nez et la bouche recouverts par cette laine et comme
on respirait dedans, notre souffle créait de l’humidité et tout le devant de
notre bouche se transformait à son tour en neige, en humidité solide.

Le simple goût de la neige, c’est le goût de
mon enfance et c’est le goût de mon pays. Et tout cela, la neige, son goût, sa
texture, son bruit, sa couleur, mon enfance et mon pays, c’est présent
ensemble, l’espace d’un instant.

L’indivisibilité première

Tout est inclus dans la présence et rien n’est séparé. «La mélodie ne se compose pas de sons, ni le vers de mots ni la statue de lignes – car c’est à force de les tirailler et de les déchiqueter qu’on arrive à faire de leur unité une multiplicité.» (Martin Buber, Je et tu).

Comme le disait Shunryu Suzuki, le corps et l’esprit sont les deux côtés d’une même pièce. Parfois on peut sentir dans la pratique que le corps et l’esprit marchent d’un même pas, la main dans la main, et que les sens s’entremêlent au lieu d’être séparés en cinq, dans une rencontre réciproque, immédiate, entre le monde et nous. Et si on y fait bien attention, on peut entendre la petite mélodie du monde, semblable à des bulles de champagne qui apparaissent et disparaissent.