Punk Mindfulness et engagement social 2/2

Interview de Betsy Parayil-Pezard – partie 2/2

Américaine émigrée en France il y a 18 ans, Betsy Parayil-Pezard est la co-fondatrice de Mindfulness Solidaire, une association promouvant la pratique de la méditation auprès de personnes en difficulté, en particulier en prison et dans les centres de sans-abris, ainsi qu’au personnel de ces établissements. Elle a également écrit le livre «Méditer c’est se rebeller» qui parle de la «punk mindfulness» (éd. Marabout). Intrigué par ce titre et par son travail, j’ai souhaité la rencontrer afin d’en savoir plus sur son rapport à l’engagement propre à la pratique de la méditation et sa transmission.

M. : Vous parlez beaucoup de la méditation comme engagement, mais j’ai malheureusement l’impression que dans la société, les gens s’intéressent à la spiritualité plutôt en tant que recherche de bien être ou d’un divertissement un peu extraordinaire.

B.
: Oui, et c’est justement ce que j’essaye de faire avec la Punk
Mindfulness. Se réapproprier son
attention, c’est un acte engagé ! Donc j’invite vraiment les
gens à méditer avec cette optique.

Et le deuxième point, c’est que si l’on crée du bien-être pour soi, mais sans être capable de le partager aux autres, et d’aborder les questions de stress généralisé, ou d’oppression systémique, on a rien compris à la compassion militante qui est encodée dans la pratique de la méditation.

M.
: Oui, surtout que ça ne marche pas !

B.
: Comment est-ce qu’on peut se sentir bien dans une maison qui
brûle ?

La méditation, telle que je l’entends, c’est tenir quelque chose intérieurement, tenir la tension qui émerge quand nous portons témoignage à ce monde, tout en se laissant toucher, et en sentant l’aspiration d’agir.

Et
mes pratiques ne sont jamais deux fois pareilles, il y a des fois où
je médite et je touche un sentiment de paix, d’autre fois de
colère, d’autre fois beaucoup de pensées, etc. Ça ne se décide
pas, ça a plutôt à voir avec le surf.

Séance de méditation chez Mindfulness Solidaire

On
ne maîtrisera jamais la vague, mais on peut apprendre à surfer.

En termes punk, on apprend à danser sur le volcan.

M.
: Quelle place pour la discipline, quand on est punk ?

B.
: Ce qui est punk, c’est de méditer pour personne d’autre, pas
pour répondre aux exigences des autres, mais vraiment pour se
rapprocher de son humanité.

À
mon avis il s’agit d’être en contact avec son aspiration la plus
profonde, et alors la discipline n’est plus trop une question, plus
trop un problème.

Mais ce n’est jamais acquis !

M.
: Est-ce que vous pouvez me parler des retraites de rue ?

B. : J’ai été beaucoup inspirée par le travail de Bernie Glassman (fondateur des Zen Peacemakes et auteur de L’art de la paix)et de Donald Rothberg (auteur de The Spiritually Engaged Life). Et faire une retraite de rue c’était aussi une manière d’explorer le non-agir, de prendre un temps pour sortir de cette pulsion de croire qu’on sait ce qui est bon pour les autres et qu’on va leur imposer. J’ai préféré ne pas savoir, et y aller et voir et m’ouvrir.

Je
l’ai fait 2 fois et j’ai vraiment senti le chemin fait en un an.
La pratique qui m’a le plus marqué, c’est la pratique de
mendier, qui nous met en relation de manière insupportable avec le
monde. Tu as l’impression de juste recevoir ce que les gens ne
veulent pas.

Et
c’est très dur à vivre. Notre petit moi se rebelle, se nourrit de
ses accomplissements, de nos réussites dans la vie, de nos
identités, pour se protéger.

Et
en tant qu’immigrante, femme, personne de couleur, j’ai senti en
arrivant en France que je n’étais personne. Et cela avait créé
une profonde envie de réussir et de me faire une place dans la
société. Je me suis vraiment amusée à essayer de réussir.

Et
donc en me retrouvant assise sur un trottoir, à mendier, à dormir
dehors, pendant 3 jours, j’ai compris à quel point c’était plus
qu’un amusement, que c’était vraiment devenue une part de mon
identité, et que c’était douloureux que cela soit balayé de la
sorte.

Pendant
plusieurs mois, ensuite, tout a perdu du sens, j’étais vraiment
sonnée. Et puis j’ai senti une profonde colère contre mon
environnement, l’impression de n’être aimée et entourée que
pour cette identité. Donc je l’ai lâché, et j’ai senti l’année
d’après, en refaisant la retraite, que ce n’était plus là, que
je pouvais vraiment expérimenter de la compassion pour les passants,
et non de la rage.

Car
j’ai senti que j’étais aussi le passant. J’étais à la fois
celui assis par terre, et ceux qui passent, et qui s’en foutent.

Donc c’est plusieurs jours d’inconfort physique, mais surtout d’inconfort psychologique, de sentir ce que nos concitoyens vivent, et comment ils sont contraints à quitter leur corps et créer une carapace pour ne plus vivre et subir cette violence quotidienne. Notre besoin de dignité est tellement inassouvi lorsque l’on vit ainsi.

M.
:
Dans
certains cas de grande détresse, pour les migrants ou les
sans-abris, ne faudrait-il pas commencer par les aider à trouver une
certaine sécurité matérielle avant de leur proposer de pratiquer
la méditation ?

B.
: Nos programmes ont lieu dans des établissements où les personnes
ont accès à une chambre et des repas.

Mais
on me demande souvent ça, en croyant que l’on sait ce qu’est le
stress. Mais non, il y a des niveaux de stress que l’on n’imagine
pas trop.

Et
au contraire, parce que certaines personnes ont été privées de
leur dignité, c’est justement ce dont elles ont le plus besoin.

De
la sentir dans le regard de l’autre et de recevoir l’invitation à
se l’offrir, d’elles-mêmes.

Il faut exploser la pyramide de Maslow, ce dont nous avons besoin autant qu’un logement et de la nourriture, c’est la dignité.

M.
: Comment transmettez-vous la pratique dans les groupes que vous
animez ?

B.
: Nous utilisons beaucoup les cercles de parole, en entreprise et en
prison, qui font émerger beaucoup de choses, parfois fortes, parfois
pas agréables, parfois rien du tout. Il y a des moments d’échange,
des moments de pratique, et des moments d’enseignements.

On
demande à chacun de contribuer, d’honorer la parole des autres.
Nous sommes ainsi tous reliés, et cet espace devient assez fort pour
accueillir tout ce qui vient – même la frustration, la colère, le
paradoxe.

Et
on en fait rien, on n’essaye pas d’analyser ce qu’il s’est
passé, à imposer un agenda. On est juste là, ensemble. Et nous
sommes comme fertilisés, par cette relation aux uns et aux autres et
à cet espace commun.

Je crois que nous sommes devenus trop arides, trop isolés et privés de racines, ce qui fait qu’aucun changement ne peut vraiment émerger, ce qui nous conduit à vivre dans un monde tellement éloigné de nos valeurs, de nos engagements. La méditation en relation, à travers les cercles ou le dialogue conscient, peut donc vraiment nous aider à transformer cela.

Moment de formation des instructeurs de Mindfulness Solidaire

M.
: Comment ça se passe exactement ?

B.
: Nous créons des binômes d’instructeurs, et on y va pendant 1h45
pour 8 séances. À chaque fois avec un thème différent. La
dernière fois nous avons par exemple parlé de la relation avec la
douleur physique et émotionnelle, avec les croyances, de la
responsabilité radicale. Avec
aussi des temps d’échange, et de méditation.

D’autres thèmes que nous présentons permettent d’explorer les outils fondamentaux de la méditation, de voir comment fonctionne la régulation émotionnelle, comment se construit un changement. Comment communiquer à partir de son expérience? Comment transformer un conflit? Nous nous connectons à nos ressources internes. Notre écoute devient générative.

M.
: C’est toujours le même groupe de personnes ?

B.
: Oui, ils s’inscrivent au début. Mais des personnes peuvent se
rajouter. Cette semaine un détenu à demander à rejoindre le
groupe, et ce n’est pas nous qui décidons pour tout le monde, ce
sont vraiment les détenus qui s’approprient le cercle. Ils
racontent ce qu’on fait, et initient les autres détenus.

On s’est beaucoup inspiré du programme de la Prison Mindfulness Institute, lancé par Fleet Maull (étudiant de Chögyam Trungpa, qui a passé 14 ans de prison, pendant lesquels il a transmit la pratique à ses co-détenus).

M.
: Pour les sans-abri c’est pareil ?

B. : Oui, et nous avons aussi un groupe pour les travailleurs sociaux. Nous souhaitons vraiment pouvoir agir sur l’ensemble de l’écosystème de l’action sociale, et devenir un acteur majeur de la réinsertion. Et on y arrive, petit à petit ! Notre module augmente le travail d’autres acteurs du social, et certains commencent à reconnaître la valeur et l’impact de notre proposition. Je sens qu’on peut vraiment faire bouger les choses et que nous avons déjà un impact dans les lieux où nous travaillons.

M. : Merci beaucoup Betsy, j’espère que votre travail continuera de porter ses fruits. Nous en avons besoin !

Betsy Parayil-Pezard, interviewée par Martin Monin

Paris, le 16 novembre 2018

Vous
pouvez vous informer sur le travail de Mindfulness Solidaire sur leur
site www.mindfulness-solidaire.org