Contre toute attente

Le compagnon avec qui j’ai partagé ma vie pendant ces quinze dernières années est décédé il y a un peu plus de deux mois. Il a pu rester chez nous et je l’ai accompagné, pas à pas, jusqu’à son dernier souffle. Une cérémonie d’adieu a scellé son départ définitif, et maintenant, je suis veuve.
Je m’attendais à être triste tout le temps, mais la réalité est différente.
Il m’arrive même, par moments, quand je suis par exemple avec mes petits-enfants, d’être joyeuse et de rire. Ou d’être heureuse quand je suis en compagnie d’amis chers à mon cœur.
Nous avons souvent une idée préconçue de comment les choses devraient être « normalement ». Une veuve devrait être « éplorée », ou « inconsolable ».
Dans la réalité, chaque relation est singulière, chacun vit les évènements qu’il traverse à sa manière, à son rythme. Il n’y a pas un modèle de deuil, ni une façon correcte ou convenable d’être en deuil. Le modèle est au contraire problématique, parce qu’il vient nous faire douter de ce que nous vivons. Est-ce normal que je ne pleure pas tout le temps ? Est-ce normal que je puisse rire ?
Je sais aussi que par moments, réaliser la côté définitif de cette absence me fera perdre pied, ou que voir un couple qui marche dans la rue main dans la main me fera mal.
Quand je médite, je me rends compte qu’il y a comme des couches d’émotions, plus ou moins profondes, plus ou moins mobiles, plus ou moins reliées aux circonstances extérieures. Il n’y a pas une identité fixe de « veuve éplorée », mais la vie qui continue en moi et tente d’intégrer l’inconcevable.

Alors quand je ris, je me fous la paix, et je vis ce que j’ai à vivre sans me soucier du regard un peu surpris de ceux qui pensaient me trouver inconsolable.